Déclaration de l'évêque de Gikongoro portant jugement définitif sur les faits dits "Apparitions de Kibeho"

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Déclaration de l'évêque de Gikongoro portant jugement définitif sur les faits dits
"Apparitions de Kibeho"

 

 

 

EVECHE DEGIKONGORO

B.P. 77 GIKONGORO

RWANDA / AFRIQUE

 

DECLARATION

DE L'EVEQUE DE GIKONGORO

PORTANT JUGEMENT DEFINITIF SUR

LES FAITS DITS "APPARITIONS DE KIBEHO".

 

A mes frères dans le sacerdoce

aux religieux et aux religieuses,

à tous les fidèles laïcs,

 

Grâce et paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ, son Verbe incarné (cf. 1Cor.1, 3).

 

Vingt ans déjà se seront s'écoulés depuis que des événements dits "Apparitions de Kibeho" ont commencé et qu'ils font l'objet d'une enquête canonique. Plusieurs parmi vous ont eu sans doute l'occasion de se rendre sur le lieu pour assister personnellement au déroulement de ce genre de phénomènes; bien d'autres les ont suivis à travers les média.

 

A l'époque de leurs premiers développements, Kibeho faisait partie du diocèse de Butare dont l'évêque était alors Mgr Jean Baptiste GAHAMANYI. Celui-ci eut à gérer la situation durant au moins dix ans avant la fondation du diocèse de Gikongoro en 1992. Il n'a épargné aucun effort pour suivre de très près ces événements insolites. Ainsi deux commissions d'étude ont été mises en place pour cela. A la date du 15 Août 1988 il jugea opportun d'approuver un culte public en rapport avec ces événements. Mais tout en reconnaissant ce culte, il a laissé volontairement en suspens au moins deux questions importantes, dont la solution est pourtant capitale pour l'avenir :

 

La Vierge Marie ou Jésus sont-ils apparus à Kibeho comme des voyants présumés le disent ? Si oui, quel voyant ou voyante pourrait-on reconnaître, étant donné le grand nombre de personnes qui, au fil des jours, ont commencé à prétendre être favorisées de visions et d'apparitions ?

J'estime que le temps est maintenant arrivé pour l'autorité ecclésiastique compétente de se prononcer définitivement à ce sujet.

 

Première partie

LES FAITS

 

Frères et sœurs dans le Christ,

 

Dans un message qui se veut aussi bref que possible, il est pratiquement impossible de dire tout ce qu'on a dans le cœur et qu'on aimerait faire connaître. Il nous paraît donc superflu de présenter une relation complète des faits, jusque dans les moindres détails. Pour la circonstance, limitons-nous seulement à quelques aspects.

 

1.1. Des repères historiques

 

Si la paroisse de Kibeho fait parler d'elle comme un lieu d'apparitions et de pèlerinages, c'est que tout a commencé dans la journée du 28 Novembre 1981 lorsqu'une jeune étudiante du collège de Kibeho, du nom d'Alphonsine Mumureke, prétendit avoir vu une Dame d'une beauté incomparable qui s'est présentée sous le vocable de "NYINA WA JAMBO", c'est-à-dire la "Mère du Verbe", aussitôt reconnue par la présumée voyante comme la Bienheureuse Vierge Marie, mère de Jésus notre Sauveur. Le phénomène se répéta dans la suite, à des intervalles plus ou moins espacés.

 

Les premières réactions suscitées par ces événements insolites au sein de la communauté du collège comme à l'extérieur ne furent point tendres; il y eut un éventail de prises de position allant d'un scepticisme qui craint la supercherie, à une adhésion plus ou moins enthousiaste pouvant donner une brèche à des excès de crédulité et d'intolérance. On prit d'abord Alphonsine soit pour une folle, soit pour une malheureuse fille possédée par de mauvais esprits; ou bien encore pour une élève médiocre voulant jouer simplement la comédie pour mieux se faire accepter dans une école tenue par des Sœurs, qui étaient des Benebikira.

 

A l'intérieur de cette école, des voix se sont fait entendre pour réclamer des preuves. Il fut même question de dire que si c'était bien la Sainte Vierge qui avait daigné les visiter, on prendrait cela au sérieux si au moins elle se montrait à d'autres qu'à cette pauvre Alphonsine. Par ailleurs, un groupe d'élèves membres du Renouveau charismatique prit l'initiative d'organiser une neuvaine de prières au cours de la première semaine de Décembre 1981 dans le but de demander des lumières pour voir clair dans cette affaire; pendant que d'autres procédaient, en toute liberté, à des tests sur Alphonsine pour la mettre à l'épreuve au moment des apparitions.

 

L'opinion publique fera tout pour trouver une explication naturelle du phénomène, mais sans beaucoup de succès, étant donné un ensemble de faits étonnants, qui dépassent le simple entendement humain. Malgré des critiques et des objections de toute sorte contre les apparitions, un mouvement d'adhésion a commencé à se développer assez rapidement à l'intérieur comme à l'extérieur du collège de Kibeho. Déjà avant les vacances de Noël 1981, un groupe d'élèves et de professeurs "convertis" se montrait assidu à des réunions de prière avec Alphonsine, où l'on récitait le chapelet scandé par des cantiques en l'honneur de la Sainte Vierge.

 

Lorsque quelques semaines plus tard deux nouvelles voyantes se manifestèrent au sein du collège l'une après l'autre, et cela en lien étroit avec Alphonsine, surtout une Marie Claire Mukangango bien connue pour son opposition farouche aux apparitions, ce fait nouveau fut aussitôt interprété par certains comme un signe positif venu du ciel à l'intention de tous ceux qui hésitaient encore à prendre au sérieux les apparitions dont parlait Alphonsine. Différents témoins interrogés au collège de Kibeho affirment avoir pris au sérieux les apparitions à la suite du cas de Marie Claire.

 

A partir du mois de Mai 1982, le phénomène allait s'étendre à l'extérieur du collège de Kibeho pour gagner les collines environnantes, voire même atteindre des localités plus éloignées, tel un feu de brousse. Or, ce qui frappe aussi, c'est qu'au sein même du collège le nombre des voyants s'est arrêté spontanément à trois une fois pour toutes et cela très tôt, sans aucune intervention extérieure d'une autorité humaine. Par contre, le nombre de présumés voyants ne cessa d'augmenter en dehors du collège d'une façon aussi rapide que troublante. Bien tardivement II fut même question de présumées apparitions de Jésus, à partir de Juillet 1982: soit sept mois après le début de celles de la Vierge. Mais avec le temps, les présumés voyants de Jésus connus des pèlerins de Kibeho ont fini par évoluer de façon plutôt inquiétante.

 

Un autre fait à considérer, est que les jours d'apparitions publiques, il n'y avait pratiquement pas d'extases en groupe ni en même temps; au contraire, les voyants avaient chacun des apparitions individuellement et à tour de rôle, soit en se relayant sur le lieu, soit en bénéficiant seul d'une "visite céleste" quasi exclusive, pendant que les autres ne faisaient qu'y assister comme tout le monde. Ces apparitions étaient généralement marquées par des chutes lourdes, surtout à la fin des extases.

 

Alphonsine Mumureke, et puis Nathalie Mukamazimpaka disent avoir effectué avec la Vierge un "voyage mystique" de plusieurs heures dans des "lieux" qu'elles décrivent dans un langage symbolique qui fait penser à des réalités telles que l'enfer, le purgatoire et le ciel, mais avec un vocabulaire tout différent de celui du catéchisme.

 

Le temps fort d'apparitions significatives s'est terminé pratiquement avec l'année 1983, au cours de laquelle la plupart des présumés voyants alors connus du public quittèrent la scène l'un après l'autre en déclarant que pour eux les apparitions seraient terminées. Sauf pour Alphonsine, dont la raréfaction des apparitions était cependant devenue une évidence déjà avant Novembre 1982. Tout le reste qui s'est passé après l'année 1983 n'a en vérité apporté rien de nouveau par rapport à ce qu'on connaissait déjà auparavant, que ce soit au point de vue du message de Kibeho ou bien en ce qui regarde les signes de crédibilité.

 

La durée des apparitions de Kibeho dans le temps a été remarquablement longue; beaucoup de paroles ont été dites, et bien des faits plus ou moins mystérieux se sont passés au fil des années. Mais le phénomène de prolifération des présumés voyants dans la région même de Kibeho comme à travers tout le pays avait réellement de quoi dérouter bien des pèlerins ainsi que les personnes chargées officiellement de suivre de près l'évolution de ces événements.

 

Dans bien des cas une crédulité facile ou un excès de respect "religieux" envers les prétendus voyants semblent avoir contribué en partie à leur prolifération. On en a vu même qui se mettaient à circuler dans certaines régions du pays pour répandre de soi-disant messages, sans se préoccuper de l'accord de l'autorité ecclésiastique compétente. Ils quittaient ainsi leurs propres familles pour aller se faire héberger dans certains ménages dévots; de là ils allaient de temps à autre s'exhiber à Kibeho ou bien harceler des autorités religieuses et civiles de leurs messages prétendus reçus du ciel. Très souvent ces messages n'étaient que de simples banalités ou des prédictions troublantes et déroutantes pour bien des gens.

 

Il y en a d'autres qui disaient avoir été chargés, par Jésus ou par la Vierge Marie, d'une mission spéciale d'aller proclamer leur message à l'étranger, surtout dans les pays limitrophes, mais aussi en Europe ou en Amérique du Nord, surtout au Canada. A ce sujet, mon prédécesseur, Mgr Gahamanyi, évêque du diocèse de Butare dont Kibeho faisait partie jusqu'en 1992, avait déjà cru utile de préciser dans sa Lettre pastorale du 30 Juillet 1986 que, les événements de Kibeho étant toujours à l'étude, il ne pouvait être question pour lui, en tant qu'Ordinaire du lieu, "de donner à qui que ce soit parmi les voyants une mission quelconque en rapport avec ces événements, ni de se porter garant des messages qu'ils disent reçus du ciel, même si certains propos tenus par eux sont bons et touchent les cœurs". L'Ordinaire du lieu visait ainsi des cas de voyants improvisés "missionnaires" ou prédicateurs itinérants. Il reprit la même position dans sa Lettre pastorale du 15 Août 1988. Cette position demeure encore valable même aujourd'hui: je l'assume à mon tour.

 

A maintes reprises, l'Ordinaire du lieu a fait appel au bon sens des chrétiens et à leur sens commun de la foi pour faire un bon discernement vis-à-vis de toutes sortes de personnes qui se manifestent ou même circulent un peu partout disant avoir des visions surnaturelles ou être porteuses de messages particuliers venant du ciel. A la lumière d'un ensemble de signes, nombre de pèlerins de Kibeho ont su, de fait, discerner petit à petit des voyants qui, à leurs yeux, méritaient d'être davantage écoutés; et bien d'autres qui, au contraire, paraissaient plutôt suspects ou même faux, à des degrés divers.

 

Quoi qu'il en soit, deux Commissions d'étude bien distinctes ont été mises en place assez tôt par l'Ordinaire du lieu. Il s'agit d'une commission médicale, créée le 20 Mars 1982; et d'une commission théologique, créée le 14 Mai 1982. Ces commissions, chacune suivant ses méthodes propres, se sont mises à la tâche dès leur création. Elles ont poursuivi leurs travaux avec un grand dévouement et avec le souci d'étudier les faits en toute objectivité, dans la patience, la sérénité, et sans passion.

 

Mais étant donné le grand nombre de voyants présumés, qui pourtant n'avaient jamais d'apparitions en groupe, les commissions ont été amenées à prendre certaines options de méthode en vue d'une plus grande efficacité dans le travail d'étude. Ainsi, la priorité fut donnée aux huit premiers voyants présumés qui se sont déclarés comme tels, à des dates différentes, au cours de la première année d'apparitions de Kibeho, c'est-à-dire entre le 28 Novembre 1981 et le 28 Novembre 1982. Mais ce choix n'était qu'une hypothèse de travail, et pas une quelconque présomption d'authenticité pour des voyants si nombreux.

 

Les commissions d'étude ont produit de nombreux rapports, présentés à qui de droit. Dans ses Lettres pastorales sur les événements de Kibeho, mon prédécesseur, Mgr Jean Baptiste Gahamanyi, évoque brièvement le travail accompli au fur et à mesure que les enquêtes progressaient. Nous y reviendrons encore dans quelques instants.

 

C'est justement à la lumière des conclusions pertinentes contenues dans ces rapports qu'il a jugé opportun d'approuver officiellement un culte public à Kibeho sur le lieu même des apparitions. Cet événement important, qui fait date, eut lieu le 15 Août 1988 en la solennité de l'Assomption de Marie. Depuis lors on peut célébrer sur le lieu des apparitions la Sainte Eucharistie ainsi que les autres sacrements de l'Eglise, et y manifester légitimement sa piété en rapport avec ces événements. Cependant, tout en autorisant ce culte, l'Ordinaire du lieu veilla à bien préciser qu'il ne fallait point confondre cette autorisation avec une éventuelle «reconnaissance du caractère surnaturel des apparitions ou révélations prétendues s'être produites en ce lieu». C'est dire aussi qu'aucun voyant de Kibeho n'était encore reconnu officiellement.

 

L'Eglise procède ainsi avec prudence ou même avec réticence à propos de la reconnaissance de l'authenticité des apparitions; mais elle considère que les fruits spirituels constatés peuvent déjà être sauvegardés par un culte public. Justement, l'approbation officielle d'un tel culte à Kibeho sur les lieux où les faits dits "apparitions" se sont produits, a été, entre autres significations, une façon de reconnaître que la "vox populi" ne s'était point laissée égarer.

 

1.2. Le contenu du message de Kibeho

 

Parmi les faits qui devraient servir de support à la crédibilité des apparitions de Kibeho, un des plus importants est sans aucun doute la teneur des "dialogues" des voyants, la qualité du message.

 

Certes les apparitions de Kibeho ont été nombreuses, et leur durée dans le temps très longue; mais les éléments constitutifs du message furent livrés au cours des deux premières années d'apparitions, c'est-à-dire avant la fin de l'année 1983. La Vierge communique à ses voyants des messages distincts, mais pas opposés; on y discerne facilement de nombreux points communs. Nous nous limiterons ici à un bref aperçu. En gros, ce message pourrait se ramener aux thèmes suivants :

 

1. Un urgent appel au repentir et à la conversion des cœurs:

"Repentez-vous, repentez-vous, repentez-vous !" "Convertissez-vous quand il en est encore temps".

 

2. Un diagnostic de l'état moral du monde: "Le monde se porte très mal" ("Ngo isi imeze nabi cyane"). "Le monde court à sa perte, il va tomber dans un gouffre ("Ngo isi igiye kugwa mu rwobo"), c'est-à-dire être plongé dans des malheurs innombrables et incessants". "Le monde est en rébellion contre Dieu, (ubu isi yarigometse), trop de péchés s'y commettent; il n'y a pas d'amour ni de paix". "Si vous ne vous repentez pas et ne convertissez pas vos cœurs, vous allez tous tomber dans un gouffre".

 

3. La profonde tristesse de la Vierge: Les voyantes disent l'avoir vue pleurer le 15 Août 1982. La Mère du Verbe est fort affligée à cause de l'incrédulité et de l'impénitence des hommes. Elle se plaint de notre mauvaise conduite, caractérisée par une dissolution des mœurs, une complaisance dans le mal, une désobéissance continuelle aux Commandements de Dieu.

 

4. "La foi et l'incroyance viendront sans qu'on s'en aperçoive". (Ngo ukwemera n'ubuhakanyi bizaza mu mayeri). C'est une des paroles mystérieuses dites plus d'une fois par la Vierge à Alphonsine dans les débuts des apparitions, avec demande de la répéter aux hommes.

 

5. La souffrance salvifique: Ce thème est un des plus importants dans l'histoire des apparitions de Kibeho. Surtout chez Nathalie Mukamazimpaka. Pour un chrétien, la souffrance, par ailleurs inévitable dans la vie d'ici - bas, est un chemin obligé pour parvenir à la gloire céleste. La Vierge a dit à ses voyants, notamment à Nathalie le 15 Mai 1982: "Personne n'arrive au ciel sans souffrir". Ou encore: "L'enfant de Marie ne se sépare pas de la souffrance". Mais la souffrance est aussi un moyen d'expier pour le péché du monde et de participer aux souffrances de Jésus et de Marie pour le salut du monde. Les voyants ont été invités à vivre ce message d'une façon concrète, à accepter la souffrance dans la foi et la joie, de se mortifier ("kwibabaza") et de renoncer aux plaisirs (kwigomwa) pour la conversion du monde. Kibeho est ainsi un rappel de la place de la croix dans la vie du chrétien et de l'Eglise.

 

6. Priez sans cesse et sans hypocrisie:

Les hommes ne prient pas; et même parmi ceux qui prient, beaucoup ne prient pas comme il faut. La Vierge demande aux voyants de prier beaucoup pour le monde, apprendre aux autres à prier, et prier à la place de ceux qui ne prient pas. La Vierge nous demande de mettre plus de zèle à prier, et à prier sans hypocrisie.

 

7. Dévotion envers Marie, concrétisée notamment par une récitation régulière et sincère du chapelet.

 

8. Le chapelet des Douleurs de la Vierge Marie:

La voyante Marie Claire Mukangango dit avoir reçu des révélations sur ce chapelet. La Vierge aime ce chapelet. Connu autrefois, celui-ci était tombé dans l'oubli. Notre-Dame de Kibeho désire qu'il soit remis en honneur et répandu dans l'Eglise. Mais le chapelet des Douleurs ne supplante point le Saint Rosaire.

 

9. La Vierge désire qu'on lui construise une chapelle en souvenir de son apparition à Kibeho. C'est un thème qui remonte à l'apparition du 16 Janvier 1982 et revient à plusieurs reprises au cours de cette année-là, avec de nouveaux développements.

 

10. Priez sans relâche pour l'Eglise, car de grandes tribulations l'attendent dans les temps qui viennent. Ainsi disait la Vierge à Alphonsine, le 15 Août 1983, et le 28 Novembre 1983.

 

Les apparitions de Kibeho comportaient souvent des rites et des symboles. Ainsi, la bénédiction de l'eau et, avec cette eau, la bénédiction de la foule et des objets de piété apportés par des pèlerins. Les rites de bénédiction s'accompagnaient généralement de paroles dont le contenu est équivalent à des prières d'intercession. Parmi d'autres symboles, on pourrait citer aussi "le champ de fleurs" ou d' "arbres" que les voyants se mettaient à arroser à la demande de la Vierge. Ces "fleurs" ou "arbres" de différentes espèces et qualités symboliseraient les hommes dans l'accueil du message de la Vierge: plus il y avait de conversions, plus le "champ de fleurs" s'élargissait.

 

D'après les voyants présumés, le message de Marie donné à Kibeho "ne s'adresse pas à un seul individu, et ce n'est pas pour quelques instants; mais il s'adresse à tous, au monde entier".

 

Quand on analyse les propos tenus par les voyants du début, il ressort clairement que pour eux la Vierge Marie n'est pas venue à Kibeho pour donner des enseignements nouveaux, mais pour rappeler, avec la clarté voulue, ce que nous avions oublié; pour nous réveiller, secouer nos consciences, nous avertir, nous rappeler à nos devoirs d'enfants de Dieu, nous ramener dans le droit chemin, nous inciter à amender nos vies. Bref, elle est venue spécialement pour travailler à notre relèvement spirituel, en vue du salut. Marie notre Mère ne peut pas laisser ses enfants se perdre. Et ce qui l'afflige beaucoup, c'est notre aveuglement et endurcissement du cœur.

 

1.3. Des fruits spirituels

 

Quand on parle d'apparitions et de révélations privées, il faut se demander sérieusement si elles portent des fruits, et de bons fruits. C'est un des critères décisifs. En effet, les visions et les messages, tout comme les charismes dont nous parle saint Paul, sont donnés au voyant non pas pour lui-même, mais pour le bien de tous. On reconnaît l'arbre à ses fruits, (Mt.7, 15-20; Mt.12, 33; Lc.6, 43-44).

 

En 1985, la commission théologique pour les apparitions de Kibeho entreprenait un travail d'enquête auprès des paroisses, des communautés religieuses, et des écoles secondaires et supérieures du pays, en vue de "recueillir les échos des événements de Kibeho dans les communautés chrétiennes". Il ressort de cette enquête que ces événements ont promu de réelles conversions à tous niveaux et un renouveau spirituel indéniable, dont un des signes visibles est un essor surprenant de vocations au sacerdoce et à la vie religieuse, dans tout le pays.

 

Dans sa deuxième lettre pastorale sur les événements de Kibeho, publiée le 30 Juillet 1986, Mgr. Jean Baptiste GAHAMANYI, évêque du diocèse de Butare pouvait déjà se réjouir de voir un peu partout "des signes d'une nouvelle ferveur" à la suite des apparitions de Kibeho. L'évêque faisait le commentaire suivant à l'intention des chrétiens :

 

«Je n'ignore pas que les événements de Kibeho ont pu contribuer à susciter une ferveur nouvelle discernable de nos jours dans notre Eglise. Au cours de ces dernières années, de nombreux chrétiens, y compris des jeunes et des intellectuels, ont repris la pratique religieuse, et certains qui étaient devenus indifférents se sont réconciliés avec Dieu et avec le prochain. On constate un peu partout dans le pays qu'il y a plus de monde aux messes du dimanche et à celles de la semaine; le sacrement de pénitence est aussi davantage demandé, des chrétiens ayant mieux compris son importance pour leur vie spirituelle.

 

Même s'il reste encore très limité, ce réveil religieux est indéniable. Il a de multiples causes liées à l'évolution générale de l'Eglise à notre époque. Il serait exagéré de l'imputer aux seuls événements de Kibeho; mais il faut bien reconnaître qu'ils ont favorisé un nouvel essor de la dévotion mariale dans le pays et qu'ils ont incité de nombreux chrétiens à réciter le chapelet et ainsi à méditer fréquemment, sinon quotidiennement, les mystères du Rosaire, tout en leur rappelant les exigences de leur foi. Plusieurs personnes ont témoigné elles-mêmes qu'elles s'étaient converties grâce à Kibeho.

 

Je me réjouis de ce regain de foi et de prière, et j'en loue le Seigneur. J'exhorte les pasteurs d'âmes à se montrer assez attentifs à tout ce mouvement de renouveau religieux pour bien l'orienter dans les voies de l'Evangile de Jésus-Christ, et pour lui assurer une base doctrinale solide grâce à une formation continue des fidèles, particulièrement en ce qui concerne la place des dévotions populaires dans l'Eglise.

 

Dans ce contexte, je crois utile d'insister notamment sur le lien qui doit exister entre la dévotion à Marie et un plus grand amour du Christ et de notre prochain. La très Sainte Vierge Marie, en effet, nous entraîne dans l'amour qu'elle a pour son divin Fils. Son seul désir est de nous voir unis à Jésus, vivant de sa vie, et mettant en pratique tous ses enseignements. C'est Lui "le Chemin, la Vérité, et la Vie", et "nul ne va au Père sinon par Lui" (Jn.14, 6). "Il n'y a qu'un seul Dieu, qu'un seul médiateur aussi un Homme: Jésus - Christ, qui s'est donné en rançon pour tous" (1Tim. 2, 5-6). C'est donc Lui, Jésus notre Sauveur et Seigneur, que nous devons rechercher par dessus tout; et nous ne pouvons pas vraiment aimer Marie si nous ne tendons pas de toutes nos forces vers Jésus. Marie nous conduit à Jésus, elle nous montre le chemin, et nous pousse à réaliser tout ce que Jésus nous commande (cf. Jn.2, 5)». (Mgr. J.B. Gahamanyi, Deuxième Lettre pastorale sur les événements de Kibeho, Butare 30/07/1986 p. 6-7).

 

Lorsque le 15 Août 1988 Mgr J.B. Gahamanyi approuvait officiellement un culte public en rapport avec les apparitions de Kibeho, il justifiait cette décision d'ordre pastoral par le souci de "garder les bons fruits spirituels que les événements de Kibeho ont produits dans l'Eglise au Rwanda et même à l'étranger" Un peu plus loin, il s'explique encore en disant qu'il voudrait par là "éviter d'arrêter le rayonnement spirituel suscité par les événements de Kibeho et canaliser l'élan de piété qui s'y manifeste depuis sept ans ..." (voir Mgr J.B. Gahamanyi, Lettre pastorale à l'occasion de la clôture de l'Année mariale, Butare 15 Août 1988 p. 15).

 

De leur côté, les membres de la Conférence des évêques catholiques du Rwanda, à l'occasion d'une Lettre pastorale adressée aux fidèles à la veille de la visite du Pape Jean-Paul II, évoquèrent le phénomène d'apparitions signalées ici et là dans le pays. Ils exhortèrent les chrétiens à demeurer davantage vigilants et exposèrent pour cela les critères de discernement établis par l'Eglise. A propos des événements de Kibeho en particulier, les évêques ont pu déclarer: "Jusqu'à présent, la situation n'est pas encore assez claire pour nous permettre d'affirmer l'authenticité de ces apparitions. Les commissions n'ont pas terminé leurs études. Néanmoins, en attendant leurs conclusions, nous témoignons que bon nombre de fidèles ont bénéficié de ces faits pour se convertir et se renouveler, pour revenir à la prière et aux sacrements, pour approfondir le culte de la Vierge Marie, Mère du Sauveur et de l'Eglise" (voir les Evêques du Rwanda, Lettre pastorale du 14 Août 1990 sur la Parole de Dieu dans la vie du chrétien, p.19-20).

 

Dans son Homélie du 15 Août 1991 donnée à Kibeho en la solennité de l'Assomption de Marie, Mgr J.B. Gahamanyi, confirme sa conviction que Kibeho est à l'origine d'une nouvelle ferveur dans la vie chrétienne et que donc sur ce point de nombreux fruits existent. Ainsi l'évêque constate que "quelques chrétiens se sont mis ensemble et, à partir de plusieurs coins du Rwanda, se sont rendus en pèlerinage à Kibeho. Ils étaient généralement accompagnés par un prêtre qui les aidait dans leur prière ..."(Mgr J.B. Gahamanyi, Homélie citée, p.5).

 

L'évêque note encore que "de grandes foules ont été au rendez-vous, même dans les conditions rendues difficiles par la guerre dont le pays souffre depuis Octobre 1990. Dans l'assistance, l'ambiance de prière a habituellement régné".

 

La même idée est reprise plus loin d'une façon encore plus forte: "... Les personnes qui ont suivi les événements de Kibeho ont toujours été frappées par l’atmosphère de foi et de prière qui s'y manifeste. Cela frappe même ceux et celles qui viennent d'autres pays d'Afrique ainsi que d'Europe ou d'Amérique. Cela frappe également des personnes qui se rendent à Kibeho sans partager notre foi. Ces événements sont en général dépourvus de ce qu'on appelle une recherche du merveilleux. On ne va pas à Kibeho uniquement pour voir ce qui va s'y passer, mais on s'y rend aussi pour prier. On peut dire qu'il y a dans l'ensemble des foules qui s'y sont rassemblées un désir d'approfondissement de la vie chrétienne." (Mgr J.B. Gahamanyi, voir Homélie citée p.12).

 

Ces observations de mon vénéré prédécesseur comme Ordinaire du lieu des apparitions, en disent bien long sur l'impact de ces événements dans l'Eglise au Rwanda; et même à l'étranger dans une certaine mesure. Rappelons en passant que les lettres pastorales ou d'autres messages de Mgr J.B. Gahamanyi sur les événements de Kibeho étaient préparés par des membres des commissions d'étude et discutées en réunion plénière avant leur publication. C'est dire que Mgr Gahamanyi ne parlait pas sans raison; ses lettres ou autres déclarations publiques sur Kibeho sont en quelque sorte le miroir du progrès réalisé par les commissions dans leur travail d'enquête canonique.

 

L'existence de fruits spirituels "qui se sont épanouis dans la chrétienté rwandaise grâce à ces événements" (paroles de Mgr Gahamanyi) est constatable même après les événements de guerre civile et de génocide qui ont marqué l'année 1990 et les années successives, au Rwanda même et dans notre région des Grands Lacs.

 

Il est vrai que, des tueries et le génocide sont survenus pour semer partout le désarroi et le deuil; ils ont fait découvrir jusqu'où peut aller la méchanceté de l'homme. Quelqu'un pourrait peut-être y chercher un argument contre les apparitions de Kibeho. Comment pourrait-on oser parler des fruits spirituels de ces apparitions alors qu'un tel drame humain a eu lieu et que ses conséquences fâcheuses se voient encore.

 

A ce sujet, la réponse devrait être la même que pour d'autres questions entendues maintes fois ces derniers temps sur le rôle de l'Eglise dans nos sociétés. Une certaine opinion prétend que l'évangélisation aurait bel et bien échoué, vu les horreurs du génocide et des massacres perpétrés en 1994 et dans la suite. Et pourtant la Sainte Ecriture et la longue Tradition de l'Eglise sont pleins d'exemples qui font réfléchir sur ce que saint Paul, Apôtre de Jésus-Christ, appelle le "Mystère de l'Impiété" qui est à l'œuvre dans le monde (voir 2 Th 2,1-12). La parabole du semeur (Mt.13, 1-9. 18-23), et la parabole de l'ivraie (Mt.13, 24-30) donnent une clef de lecture des prétendus échecs de l'évangélisation.

 

Les idées d'aveuglement et d'endurcissement du cœur maintes fois reprochés au peuple de Dieu dans l'Ancien Testament, renvoient à une thématique biblique qui traverse l'histoire du salut. Les messages des prophètes n'ont pas toujours été bien écoutés et suivis. Voici par exemple un passage du prophète Jérémie parmi bien d'autres:

 

"... Depuis que leurs pères sortirent du pays d'Egypte jusqu'à ce jour, je n'ai cessé de leur envoyer tous mes serviteurs les prophètes, chaque jour, inlassablement. Mais ils ne m'ont pas écouté, ils n'ont pas tendu l'oreille : ils ont raidi leur nuque, ils ont été plus méchants que leur pères. Tu leur expliques toutes ces paroles, ils ne te répondent pas. Dis-leur donc: Voilà la nation qui n'écoute pas la voix du Seigneur son Dieu, qui n'accepte pas la leçon. La vérité a péri, elle est bannie de leur bouche". (Jér.7, 25-28).

 

En écoutant ces paroles de l'Ancien Testament avec des applications sur notre propre situation, on pourrait facilement faire des rapprochements avec des paroles, également dures, que la Vierge Marie a dites à plusieurs reprises à travers ses voyantes de Kibeho, notamment lors de l'apparition du 15 Août 1982, au moment où l'Eglise célébrait dans l'allégresse l'Assomption de la Vierge au ciel.

 

Justement en jetant un regard rétrospectif pour considérer des propos tenus par certains voyants à Kibeho, ou bien des comportements typiques manifestés par eux à certains moments, on ne peut s'empêcher de penser de prime abord que les grands malheurs qui se sont abattus cette dernière décennie sur le Rwanda et même sur des pays limitrophes, ont l'air d'avoir été prédits à Kibeho pendant les apparitions, d'une façon ou d'une autre. Il en est de même pour des drames vécus par notre Eglise ces dernières années, surtout en 1994 et dans la suite.

 

C'est sûr, le message de Kibeho n'a pas encore converti tous les Rwandais ni d'autres peuples qui ont pu en avoir connaissance, mais il reste certain aussi que des fruits positifs existent et pourront se multiplier encore. Des rechutes de "convertis", les horreurs de la guerre, voire même le génocide, ainsi que d'autres tragédies consécutives que nous déplorons tous aujourd'hui, ne sauraient donc être un argument suffisant contre la crédibilité des apparitions de Kibeho.

 

Aujourd'hui encore le message de Kibeho reste d'actualité et touche des cœurs. Des groupes de prière continuent à naître spontanément et à s'épanouir un peu partout. Le chapelet des Douleurs est largement connu et récité par bien des chrétiens. Au sanctuaire de Kibeho, l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement fait partie des exercices de piété instaurés depuis la fin de la guerre. Malgré une insécurité quasi généralisée à travers le pays au cours des années 1995-1998, des groupes de pèlerins parvinrent à se rendre quand même à Kibeho pour prier. Encore aujourd'hui certains parmi ces groupes ne craignent même pas de faire le trajet à pied par mortification, alors qu'ils ont les moyens de se payer les taxis minibus qui circulent.

 

Bien entendu, les pèlerinages vers Kibeho sont encore loin d'être massifs et impressionnants; car, à la suite de la guerre civile et du génocide de 1994, Kibeho, théâtre d'un double massacre raciste en Avril 1994 et en Avril 1995, est resté longtemps d'accès difficile pour diverses raisons, notamment l'enclavement de la localité, l'insécurité dans le pays, les problèmes d'hébergement, etc.

 

En somme, dans le domaine des apparitions, il sera toujours difficile d'en évaluer les retombées spirituelles. Le retentissement de ce genre d'événements ne peut pas être quantifiable; il est davantage qualitatif. C'est beaucoup plus une question de conversions intérieures et de renouveau spirituel dont les fruits se ressentent à plus ou moins long terme, telle cette "semence qui pousse d'elle-même" ou cette "graine de moutarde" qui devient graduellement un arbre géant, comme le dit Jésus lui-même dans ses paraboles du Royaume de Dieu (voir Mc.4, 26-32).

 

Deuxième partie

LE JUGEMENT DEFINITIF PORTÉ SUR LES FAITS.

 

Frères et sœurs dans le Christ,

 

Comme nous l'avons vu tout à l'heure, un culte public sur le lieu des apparitions de Kibeho a été officiellement approuvé par l'autorité ecclésiastique compétente le 15 Août 1988 : treize années se sont désormais écoulées depuis l'approbation de ce culte.

 

Or, comme le montre l'histoire des apparitions à travers le monde, il peut arriver qu'après l'approbation du culte public sur les lieux, l'évolution de la situation dissuade l'autorité de l'Eglise de pousser plus loin, et qu'elle préfère plutôt en rester là une fois pour toutes. Mais tel n'est pas le cas de Kibeho; il y a en effet, pour l'autorité compétente, assez d'éléments pour pouvoir apprécier les faits et trancher les débats par une déclaration portant jugement définitif sur les événements étudiés. L'état d'avancement des travaux des commissions ad hoc, qui sont à pied d'œuvre depuis Mars 1982, offre maintenant des conditions favorables.

 

2.1. Le Diocèse de Gikongoro, héritier du Dossier de Kibeho

 

Jusqu'en 1991, Kibeho faisait partie du diocèse de Butare. Mais cet état de choses allait changer complètement à la suite de l'érection canonique du DIOCESE DE GIKONGORO, en détachant ce territoire du diocèse de Butare. Cet acte eut lieu le 30 Mars 1992. Depuis lors, Kibeho allait dépendre de ce jeune diocèse, qui m'est confié comme son premier évêque.

 

Dès le départ, j'ai pris l'engagement de poursuivre l'examen du dossier des apparitions en marchant sur les traces de mon prédécesseur, Mgr Jean Baptiste Gahamanyi, et en faisant appel à sa collaboration selon l'opportunité (voir Allocution du 28 Juin 1992 à l'occasion de mon ordination épiscopale). Peu après les fêtes d'ordination, je me rendis à Kibeho le 15 Août 1992, en la solennité de l'Assomption de Marie, pour présider la liturgie du jour au sanctuaire marial même. Je saisis alors l'occasion de renouveler mon engagement et de préciser davantage mes orientations au sujet du dossier des apparitions (voir Homélie du 15 Août 1992).

 

A la date du 28 Novembre 1992 se tenait à l'évêché même de Butare, une réunion générale des membres des deux Commissions, médicale et théologique, pour les apparitions de Kibeho, sous la présidence de Mgr. J.B. Gahamanyi, Evêque de Butare, qui les avait créées. Bien entendu, j'étais également présent pour co-présider cette réunion importante, qui fut décisive pour l'avenir du dossier de Kibeho après l'érection canonique du diocèse de Gikongoro. Un échange de vues à ce propos a permis de dégager une ligne de conduite.

 

Ainsi on était d'accord pour dire qu'il ne serait pas opportun de confier le dossier des apparitions de Kibeho à d'autres experts qu'à ceux qui l'avaient commencé. L'évêque de Gikongoro n'avait donc pas à créer de nouvelles commissions, mais à garder celles qui étaient déjà à l'œuvre, quitte à en renforcer la composition selon le besoin. Me référant donc à cette entente, j'ai pu, à la date du 16 Janvier 1993, reconduire dans leurs fonctions les commissions existantes, mais en y ajoutant de nouveaux membres.

 

Parallèlement aux travaux des commissions, j'ai cherché aussi des voies et des moyens pour promouvoir le culte public déjà autorisé par mon prédécesseur.

 

Ainsi, à la date du 28 Novembre 1992, 11ème anniversaire de la première apparition, j'étais de nouveau à Kibeho. Entouré de Mgr. J.B. Gahamanyi évêque de Butare, de Mgr. Frédéric Rubwejanga évêque de Kibungo, et de plusieurs prêtres, j'y présidais la cérémonie de pose de la première pierre d'une future chapelle à bâtir sur l'esplanade des apparitions. Cette chapelle reçut alors le nom de "Chapelle de Notre-Dame des Sept Douleurs", dénomination qui sera étendue ensuite à tout le reste du sanctuaire.

 

Le même jour du 28/11/1992, j'ai annoncé publiquement la création ainsi que la composition d'un "Comité pastoral pour le sanctuaire de Kibeho" avec des tâches précises. Le 19/12/1992, ce Comité tenait sa première réunion présidée par moi-même.

 

Le 31 Mai 1993, eut lieu un tout premier pèlerinage diocésain à Kibeho, avec l'évêque en tête. C'est ce qu'on appela alors le "Pèlerinage de la paix" dans le contexte d'une guerre fratricide déclenchée en Octobre 1990. Tous les prêtres du diocèse étaient présents, et chaque paroisse avait pris soin d'envoyer une délégation plus ou moins nombreuse selon les distances et les possibilités de transport en commun.

 

A la date du 20 Novembre 1993, soit un an après la pose de la première pierre, je présidais à Kibeho les cérémonies de bénédiction et d'inauguration d'une chapelle provisoire, aménagée aux frais du diocèse dans un des dortoirs des élèves.

 

Dans l'entre-temps, je relançais un projet de préparation des plans de la future chapelle définitive, projet initié par mon prédécesseur. De même, un relevé topographique du site de Kibeho fut réalisé en Janvier 1993. Si le pays n'avait pas connu les événements du génocide en 1994, les travaux de construction auraient peut-être déjà commencé.

 

Le drame vécu par le peuple rwandais en 1994 et les années suivantes n'a eu ni limites ni quartier. Même les voyants de Kibeho n'ont pas été épargnés. Kibeho fut le théâtre d'un double massacre massif de populations civiles sans défense en raison de leur appartenance ethnique ou politique. Ce double massacre a laissé dans les cœurs des survivants de profondes blessures, d'ailleurs comme dans le reste du pays. Au lendemain de la guerre et du génocide, Kibeho offrait l'image d'un champ de ruines. La reconstruction morale et la réconciliation des communautés restent un des grands défis pastoraux pour notre diocèse, comme pour l'ensemble de l'Eglise au Rwanda.

 

Après des démarches fort difficiles menées auprès des autorités compétentes, il fut enfin possible de procéder à la purification rituelle du sanctuaire de Kibeho et à une reprise graduelle des pèlerinages depuis la veille de Noël 1995. L'église paroissiale ayant été fort endommagée à l'occasion des événements tragiques d'Avril 1994, c'est le sanctuaire marial qui a servi de tremplin pour une reprise des activités pastorales dans la région.

 

Dans le cadre des efforts visant à relancer également les activités du sanctuaire de Kibeho lui-même, j'ai jugé opportun de m'y rendre de nouveau pour un pèlerinage avec des fidèles, le 15 Septembre 1996, en la fête de Notre-Dame des Douleurs. A cette occasion j'ai donné un Message, qui marquait une étape assez significative et faisait le point de la situation, avec de nouvelles directives pastorales. Il fut rappelé notamment que les apparitions de Kibeho n'étaient pas encore reconnues officiellement et que l'examen de ce dossier se poursuivait toujours.

 

2.2. Nouvelles étapes des travaux des commissions.

 

Je disais tout à l'heure qu'après l'érection canonique du diocèse de Gikongoro, il fut convenu que les commissions, médicale et théologique, mises en place en 1982 par Mgr. Gahamanyi, évêque de Butare, continueraient normalement leur travail pour le compte du nouveau diocèse sans devoir en créer d'autres.

 

Or, presque tous les membres de ces deux Commissions n'étaient pas résidents dans le diocèse de Gikongoro. Pour des raisons de commodité, les réunions continuèrent à se tenir à l'Evêché de Butare ou bien au Monastère bénédictin de Gihindamuyaga. J'en assurais la présidence. Mgr. J.B. Gahamanyi pouvait toujours, lui aussi participer à ces réunions selon ses disponibilités. De fait, il répondait très souvent à l'invitation.

 

Le travail à faire restait le même qu'avant la création du diocèse de Gikongoro. Au stade où en étaient les travaux, il s'agissait de continuer à réunir, au sujet de chaque voyant, des éléments d'information et d'analyse permettant de pouvoir porter un jugement motivé sur la nature des phénomènes de Kibeho et leur origine divine.

 

A partir des rapports provisoires et des comptes rendus de nouvelles enquêtes menées auprès des voyants eux-mêmes et auprès de témoins connus comme sérieux, il fallait élaborer des synthèses quasi définitives avec le souci d'établir les faits d'apparitions tels qu'ils se sont passés, au-delà de la rumeur publique. Ces rapports synthétiques faisaient l'objet d'un examen critique au sein de la commission théologique, qui tenait ses réunions quatre fois par an en moyenne.

 

Dans l'entre-temps la commission médicale avait déjà terminé pratiquement sa tâche et déposé son rapport final en Novembre 1986. Lors de sa réunion ordinaire tenue le 18 Mai 1993, la commission théologique estima que le temps était venu de rassembler les éléments utiles permettant à l'Ordinaire du lieu de se prononcer sur la question de l'authenticité même des apparitions. Les séances de travail qui ont suivi s'occupèrent principalement à examiner diverses pièces produites sur ce point. Si bien que, quand survint la crise nationale de 1994 au cours de laquelle deux membres de la commission théologique ont perdu la vie, le gros du travail à faire avait été déjà réalisé. Comme j'ai été moi-même un des membres de ladite commission depuis sa création et qu'après mon ordination comme premier évêque de Gikongoro j'ai continué à participer fidèlement aux réunions, je suis assez bien placé pour pouvoir mesurer la valeur du travail réalisé.

 

Depuis la fin de la guerre et du génocide, j'ai poursuivi personnellement des enquêtes à la recherche des nouvelles des voyants; car il était important de savoir ce qu'ils étaient devenus depuis la fin de leurs apparitions. Bien plus, j'ai pu remettre sur pied la commission théologique, composée de membres anciens et nouveaux, choisis dans différents diocèses du pays avec l'accord de leurs évêques.

 

La tâche de la commission ainsi mise à jour consistait pratiquement à finaliser les dossiers déjà existants. Mais, parallèlement à ce travail, j'ai entrepris aussi une consultation discrète auprès d'autres autorités en la matière.

 

2.3. L'opportunité d'un jugement définitif

 

Après une si longue période d'observation et d'analyse minutieuse des faits mystérieux de Kibeho; étant donné aussi de nombreuses demandes venant d'un peu partout pour en savoir davantage au delà de la reconnaissance d'un culte public, et après avoir pesé le pour et le contre, j'estime que le dossier est déjà mûr et que donc le moment est venu de faire une déclaration définitive sur les apparitions de Kibeho.

 

Il s'agit là d'un moment décisif dans l'histoire de ces événements. Cela permettra de clarifier toute une situation demeurée longtemps ambiguë pour bien des fidèles, comme pour l'opinion publique. Les fidèles dissimulent à peine leur besoin de savoir à quoi s'en tenir finalement; d'autant plus que, même de nos jours, dans un pays qui sort à peine d'une longue guerre fratricide et d'un génocide meurtriers, de nouveaux présumés voyants de tout bord continuent encore à se déclarer un peu partout, avec des "messages" souvent suspects ou tendancieux.

 

Comme les faits le prouvent, cela contribue à entretenir tout un climat de confusion dans l'Eglise et à créer un "désordre religieux" dans certaines communautés avec un risque sérieux de les diviser ou bien de les détourner de la vraie piété chrétienne, voire même de prêter main forte à toute une floraison de sectes et de nouveaux mouvements religieux à coloration "chrétienne", à laquelle nous assistons aujourd'hui depuis la fin de la guerre et qui, en définitive, contribuent à déstabiliser l'Eglise plus ou moins délibérément.

 

Bref, il est plus que temps de séparer le bon grain de l'ivraie. En effet, les chrétiens du Rwanda et d'ailleurs seraient heureux si le "signe" des apparitions venait renforcer et purifier leur foi; mais ils souffriraient un grave dommage si on utilisait ce genre de phénomènes pour ridiculiser leurs convictions.

 

Dans la foulée des célébrations du Grand Jubilé de l'An 2000 de la Rédemption et du Centenaire de l'évangélisation du Rwanda, une déclaration définitive sur les présumées apparitions de Kibeho permettrait de répondre aux attentes du peuple de Dieu et de donner un nouvel élan au culte public reconnu depuis 13 ans déjà.

 

2.4. Déclaration

 

Chers frères dans le sacerdoce, Chers religieux et religieuses, et vous tous chers fidèles laïcs,

 

Tout comme les charismes dont saint Paul Apôtre nous dit qu'ils sont par nature destinés au bien commun de l'Eglise, aucune apparition ne dispense les voyants de la référence et de l'obéissance aux pasteurs de l'Eglise. En effet, "c'est à ceux qui ont la charge de l'Eglise de porter un jugement sur l'authenticité de ces dons et sur leur usage bien entendu. C'est à eux qu'il convient spécialement, non pas d'éteindre l'Esprit, mais de tout éprouver pour retenir ce qui est bon" (Vatican II, L.G. n.12).

 

La reconnaissance ou la négation de l'authenticité d'une apparition n'est point couverte par l'infaillibilité; elle repose plus sur des preuves de probabilité que sur des arguments apodictiques. Dans le domaine des apparitions il n'y a donc pas de certitude absolue pour les témoins, sauf peut-être pour le voyant lui-même. Et là encore ! C'est dans cet esprit qu'il convient d'interpréter le jugement que j'entends porter maintenant sur les faits dits "Apparitions de Kibeho":

 

Moi, Augustin MISAGO, par la volonté de Dieu et l'autorité du Siège Apostolique, premier évêque du diocèse de Gikongoro, lieu où se sont produits des événements dits "Apparitions de Kibeho" :

 

  • -Vu les différents rapports présentés par les commissions d'étude, médicale et théologique, à pied d'œuvre depuis leur création en 1982;
  • Tenant compte aussi du résultat de mes propres investigations menées patiemment, surtout depuis mon ordination épiscopale en Juin 1992 comme nouvel Ordinaire du lieu;
  •  Attentif aux directives données par le Saint-Siège en ce domaine;
  • Considérant le fait qu'un culte public sur le lieu des apparitions a été approuvé officiellement le 15 Août 1988 par mon prédécesseur Mgr Jean Baptiste Gahamanyi, évêque du diocèse de Butare, dont Kibeho faisait alors partie, et que ce culte est exercé sans interruption depuis treize ans déjà, bien que dans des conditions rendues difficiles par la guerre et l'insécurité dont le pays a beaucoup souffert depuis Octobre 1990;
  • Attendu qu'au sujet des voyantes du début aucune objection décisive n'a été formulée contre les apparitions; qu'au contraire les arguments en faveur de leur caractère surnaturel paraissent très sérieux, et que le recul des années n'a fait que rendre ces arguments plus impressionnants;
  •  Considérant surtout le contenu de ce qu'on peut appeler le message de Kibeho, ainsi que les fruits spirituels qu'il a déjà suscités dans le peuple de Dieu;
  • Considérant en outre l'évolution personnelle des différents voyants présumés, répertoriés au 28 Novembre 1983 et qui ont fait l'objet d'un examen par les commissions, d'une façon ou d'une autre;
  • Voulant répondre à la légitime impatience de tant de chrétiens qui réclament depuis longtemps de l'autorité ecclésiastique une décision, que des motifs de prudence et d'opportunité m'ont fait retarder;
  • Ayant prié l'Esprit Saint de m'assister, et invoqué la Vierge Marie, la mère de Jésus notre Sauveur et la mère des croyants;
  •  Après avoir consulté les commissions ad hoc, et informé la Conférence Episcopale;

 

JE DECLARE ce qui suit, en ma qualité d'Ordinaire du lieu:

 

1°. Oui, la Vierge Marie est apparue à Kibeho dans la journée du 28 Novembre 1981 et au cours des mois qui ont suivi. Il y a plus de bonnes raisons d'y croire que de le nier. A cet égard, seules les trois voyantes du début méritent d'être retenues comme authentiques: il s'agit d’Alphonsine MUMUREKE, Nathalie MUKAMAZIMPAKA, et Marie Claire MUKANGANGO. La Vierge s'est manifestée à elles sous le vocable de "Nyina wa Jambo", c'est-à-dire "Mère du Verbe": ce qui est synonyme de "Umubyeyi w'Imana", c'est-à-dire "Mère de Dieu", comme elle l'a expliqué. Ces voyantes de Marie disent la voir tantôt les mains jointes, tantôt les bras étendus.

 

2°. Plusieurs motifs justifient le choix des trois voyantes maintenant reconnues. Ces voyantes, dont le lien historique qui les unit entre elles est bien établi, ont occupé seules la scène durant plusieurs mois, au moins jusqu'en Juin 1982. De plus, ce sont elles qui ont fait beaucoup parler de Kibeho comme d'un lieu d'apparitions et de pèlerinages, et qui ont fait courir des foules pour cela jusqu'à la fin de ces événements.

 

Mais par dessus tout, c'est Alphonsine, Nathalie et Marie Claire qui répondent avec satisfaction aux critères établis par l'Eglise en matière d'apparitions et de révélations privées. Par contre, l'évolution de présumés voyants postérieurs, surtout depuis la fin de leurs apparitions, laisse apparaître des situations personnelles bien précises et plus ou moins inquiétantes qui viennent renforcer des réserves déjà existant à leur sujet et dissuader l'autorité de l'Eglise de les proposer aux fidèles comme une référence.

 

3°. Dans l'appréciation des faits et des messages, seules les apparitions publiques sont à prendre en considération. Sont publiques les apparitions qui ont eu lieu en présence de plusieurs témoins, ce qui ne veut pas dire nécessairement une foule.

 

Le temps fort de ces apparitions s'est terminé avec l'année 1983. Tout le reste qui s'est dit ou fait après cette date à Kibeho n'a en vérité apporté rien de nouveau par rapport à ce qui était déjà connu auparavant, que ce soit au point de vue des messages ou bien des signes de crédibilité. Même dans le cas d'Alphonsine, qui a pourtant continué d'attirer du monde jusqu'à la fin de ses apparitions.

 

4°. Les deux premières années d'apparitions à Kibeho (1982 et 1983) constituent donc véritablement la période décisive pour quiconque voudrait connaître ce qui s'est passé et se former un jugement là-dessus. C'est en effet au cours de cette période que se sont produits des événements significatifs, qui ont fait tant parler de Kibeho et courir des foules. C'est aussi dans cette période que les éléments essentiels du message de Kibeho ont été communiqués, puis récapitulés, et qu'il y eut la fin des apparitions pour la plupart des voyants.

 

5°. Dans le cas des trois voyantes retenues, qui sont finalement à l'origine de la célébrité de Kibeho, il n'y a rien qui a été dit ou fait par elles pendant les apparitions qui soit contraire à la foi ou à la morale chrétienne. Leur message rejoint avec satisfaction les Saintes Ecritures et la Tradition vivante de l'Eglise.

 

6°. Bien entendu, dans ce domaine des apparitions, des influences extérieures sur les voyants ou des manipulations sont toujours possibles; elles sont pratiquement inévitables et souvent difficiles à discerner, étant donné que les voyants ne sont point isolés de leur milieu de vie. Quoi qu'il en soit, les interférences constatées ne semblent pas avoir altéré le vrai message de Kibeho, brièvement exposé plus haut. Une analyse approfondie de la période des débuts des apparitions permettra de mieux démêler, parmi bien des paroles attribuées à la Sainte Vierge, celles qu'elle aurait vraiment dites, notamment en ce qui concerne le message de la chapelle. Du reste, nous ne devons pas perdre de vue cette vérité que d'ordinaire Dieu notre Créateur, "qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité" (1Tim. 2,4), se sert de ce qu'on appelle "les causes secondes" pour réaliser son plan de salut.

 

7°. Parmi les signes de crédibilité des apparitions, on peut mentionner, entre autres, des faits tels que :

 

- la bonne santé mentale, l'équilibre humain, la lucidité et la sincérité des voyantes attestés par les conclusions de la commission des médecins comprenant un psychiatre;

 

- le climat vraiment pieux et sincère dans lequel se sont déroulés ces événements;

- une absence de recherche du sensationnel chez les voyantes, ce qui peut signifier que les apparitions ne se produisaient pas de façon automatique ou bien téléguidée;

 

- la non-contradiction des voyantes quant aux messages et aux comportements;

 

- la réalité des extases qui n'ont rien de maladif ou d'hystérique, d'après les différents tests et examens effectués par les commissions ;

 

- le naturel, la cohérence et la simplicité des "dialogues" avec l'Apparition;

 

- le fait que certaines paroles qui ont été dites manifestaient un niveau supérieur à la culture et à la formation religieuse des personnes qui les ont dites;

 

- le phénomène de "voyages mystiques" pour Alphonsine d'abord (le 20 Mars 1982) et pour Nathalie ensuite, (le 30 Octobre 1982);

 

- la journée du 15 Août 1982 qui fut marquée notamment, contre toute attente, par des visions effroyables, qui dans la suite se sont avérées prophétiques au vu des drames humains vécus au Rwanda et dans l'ensemble des pays de notre région des Grands Lacs ces dernières années;

 

- le jeûne extraordinaire de Nathalie durant le carême 1983, rigoureusement surveillé par la commission médicale, dont les membres n'étaient pas tous des catholiques ni des catholiques pratiquants;

 

- mais surtout le message de Kibeho, dont le contenu reste cohérent, pertinent et orthodoxe;

 

- les fruits spirituels déjà suscités par ces événements à travers le pays et même à l'étranger;

 

On ne peut attacher aucune valeur probante aux soi-disant phénomènes solaires que l'un ou l'autre prétendu voyant postérieur aux trois maintenant reconnues, a cru voir et tentait de faire voir aux foules de pèlerins de Kibeho, notamment dans le courant de Novembre 1982, peu après les 17 h. Il n'y a là aucun miracle; des témoins différents et dignes de foi donnent une explication naturelle du phénomène, qui paraît bien fondée et incontournable.

 

8°. Dans le message de Kibeho, il est question, entre autres aspects, des paroles attribuées à la Vierge Marie, qui voudrait qu'on construise un sanctuaire à Kibeho en son honneur et en souvenir de son apparition là-bas. Ce message, reçu par Alphonsine pour la première fois lors de l'apparition du 16 Janvier 1982, a été répété à plusieurs reprises durant cette année-là. Ce message fut donné par la Vierge non pas de sa propre initiative mais comme réponse à une demande qui lui était adressée par la voyante. On doit reconnaître aussi que dans les paroles attribuées à la Vierge par les voyantes, nulle part il n'a jamais été question de "Basilique", mais plutôt de chapelle (Bikira Mariya ngo arashaka shapeli). Le concept de "basilique" est un élément totalement étranger au vrai message de Kibeho. Aucune des trois voyantes reconnues n'a utilisé le mot. L'idée vient plutôt d'un ouvrage paru en Février 1983 sur les apparitions de Kibeho et distribué gratuitement dans certains milieux.

 

9°. Toujours à propos du message de la chapelle à construire sur le lieu des apparitions de Kibeho, l'examen des paroles attribuées à la Vierge Marie révèle qu'en fin de compte celle-ci n'entend pas imposer à l'évêque dimensions, plans, dénominations ni modèles de décoration; mais elle lui laisse plutôt assez de liberté d'agir suivant l'utilité pastorale pour les fidèles. Du reste, même si la Vierge Marie n'avait pas demandé qu'on lui construise une chapelle, celle-ci s'imposerait d'elle-même du moment qu'au moins un culte public est reconnu sur les lieux.

 

10°. Le chapelet des Sept Douleurs de la Vierge Marie fait partie des dévotions mariales relativement anciennes dans l'Ordre des Servites de Marie. Il y eut un temps où même au Rwanda ce chapelet était connu, mais uniquement dans un cercle de Sœurs Benebikira avant les années 1960: il fut introduit par Mama Tereza Kamugisha, la première supérieure générale rwandaise de cette congrégation. Mais depuis la fin de son mandat, ce chapelet très mal connu et surtout très mal accepté par les sœurs, est tombé vite dans l'oubli. C'est la voyante Marie Claire Mukangango qui en parle de nouveau comme un message livré par la Vierge Marie à Kibeho. Jusqu'à présent, malgré de longues recherches qui ont été faites par les commissions ad hoc, il n'y a aucune preuve que Marie Claire connaissait déjà ce chapelet avant le début des apparitions. Ce chapelet mérite d'être répandu parmi les chrétiens, sans supplanter cependant le Saint Rosaire. Il s'agit d'un exercice de piété parmi bien d'autres admis dans l'Eglise.

 

11°. Le culte public en rapport avec les apparitions de Kibeho, déjà approuvé depuis le 15 Août 1988 par mon prédécesseur et confirmé par moi-même dès mon entrée en fonction comme premier évêque de Gikongoro, demeure en vigueur et mérite d'être promu davantage pour le bien spirituel des fidèles. Dans les supplications, litanies ou cantiques, les fidèles peuvent mêler désormais le vocable "Notre-Dame de Kibeho" à d'autres titres sous lesquels la Sainte Vierge est invoquée.

 

12°. Toutefois, dans l'exercice de ce culte, il importe de bien veiller à la spécificité des apparitions de Kibeho, sans les mélanger avec d'autres phénomènes similaires, reconnus ou pas, qui se seraient déroulés ailleurs dans le pays ou à l'étranger. Je défends donc d'ériger au sanctuaire de Kibeho des statues ou emblèmes, et de ne publier aucune formule particulière de prières, aucun cantique, aucun livre de dévotion, relatifs aux apparitions de Kibeho sans une approbation donnée par l'Ordinaire du lieu.

 

13°. Le nom donné au sanctuaire marial de Kibeho est "Sanctuaire de Notre-Dame des Douleurs", comme je l'ai déjà préconisé à l'occasion de la pose de la première pierre, le 28 Novembre 1992, et repris dans mon message proclamé à Kibeho le 15 Septembre 1996, avec de plus amples explications.

 

14°. Que Kibeho devienne donc sans tarder un but de pèlerinages et de rendez-vous pour les chercheurs de Dieu, qui y vont pour prier; un haut lieu de conversions, de réparation du péché du monde, et de réconciliation; un point de ralliement pour "ceux qui étaient dispersés", comme pour ceux qui sont épris des valeurs de compassion et de fraternité sans frontières; un haut lieu qui rappelle l'Evangile de la Croix.

 

15°. Pour promouvoir davantage le culte public et en faciliter l'exercice, une chapelle en l'honneur de la Vierge Marie sera bâtie sur le lieu des apparitions le plus tôt possible. Mais pour les dimensions de cet édifice on tiendra compte de l'espace disponible et donc aussi de l'école qui s'y trouve. Dans l'immédiat une seule chapelle suffit; pour le reste, l'église paroissiale est là, elle fait partie intégrante de l'aire du sanctuaire marial.

 

16°. Un Comité pastoral du Sanctuaire de Kibeho, composé de prêtres et de laïcs et dont le principe est déjà établi depuis le 28 Novembre 1992, sera mis en place pour assister le recteur du sanctuaire dans la bonne gestion de cette œuvre et dans la coordination des diverses initiatives qui visent à la soutenir, y compris l'emploi des fonds. Les membres de ce comité doivent être agréés par l'Ordinaire du lieu.

 

* * *

 

Puisse cette déclaration contribuer à une plus grande gloire à Dieu à Kibeho, ainsi qu'ailleurs au Rwanda et même en dehors de ses frontières. Qu'elle soutienne toujours de plus en plus une vraie dévotion à Notre-Dame de Kibeho, Mère du Verbe et Vierge des Douleurs.

 

Je rends hommage à Mgr Jean Baptiste Gahamanyi, évêque de Butare, qui n'a rien épargné pour suivre de près l'évolution des événements de Kibeho, en s'entretenant avec les voyants présumés et avec divers témoins et en soutenant de façon indéfectible le travail des commissions d'étude créées assez tôt à son initiative. Même après l'érection canonique du diocèse de Gikongoro, il a continué à s'intéresser, sur mon invitation, au travail de ces commissions et à me prêter main forte dans la gestion d'un dossier aussi délicat. De façon lointaine, il a contribué ainsi à l'heureuse conclusion de ce dossier. Que par l'intercession de la Vierge Marie "Nyina wa Jambo", le Seigneur daigne l'accueillir dans son royaume éternel.

 

J'exprime également à tous les membres des commissions, médicale et théologique, pour les apparitions de Kibeho, ma vive satisfaction et ma reconnaissance pour le sérieux, la générosité et la rigueur dont ils ont fait preuve dans l'accomplissement de la tâche d'Eglise qui leur a été confiée. Que le Seigneur, qui est riche en miséricorde, daigne accorder le repos éternel à ceux qu'il a déjà appelés à lui, et répandre ses bénédictions sur ceux qui sont encore en vie, toujours prêts à se dépenser pour toute bonne cause.

 

Pour ma part, je ne saurais comment rendre grâce au Seigneur qui a fait pour moi des merveilles et qui a daigné me garder encore en vie jusqu'à ce moment vraiment historique, malgré des menaces de mort pesant sur moi ces derniers temps, afin que je puisse devenir en quelque sorte un humble instrument dans les mains de la Vierge Marie et proclamer, au nom de l'Eglise, la bonne nouvelle de l'authenticité de ses apparitions à Kibeho, au cœur de l'Afrique. Omnia propter Evangeiium!

 

2.5. Le statut des apparitions dans l'Eglise

 

De l'avis des théologiens éprouvés, les apparitions et les révélations privées ne sont que des grâces d'exception; leur fonction dans la vie de l'Eglise reste toujours limitée. L'Eglise est consciente, en effet, que la Révélation positive que Dieu a voulu communiquer aux hommes pour leur salut est close avec la mort du dernier Apôtre, saint Jean l'évangéliste et l'auteur du livre de l'Apocalypse. Tout ce qui est nécessaire à notre salut se trouve déjà dans la Sainte Ecriture et dans la Tradition vivante de l'Eglise. Quand bien même les visions les plus estimables pourraient nous fournir de nouveaux motifs de ferveur, elles ne donneraient point de nouveaux éléments de vie et de science divines.

 

A proprement parler il n'y a donc pas de révélations nouvelles à attendre, ce qui ne veut nullement dire que Dieu ne continue pas à intervenir personnellement dans l'histoire des hommes.

 

Une apparition reconnue, qui renforce chez les fidèles la vie de foi et de prière est certainement une aide puissante pour les pasteurs d'âmes. Mais le message lié à cette apparition n'est pas une révélation nouvelle; c'est plutôt un rappel de l'enseignement ordinaire de l'Eglise.

 

Dans l'histoire de l'Eglise les apparitions reconnues ont souvent été un signal d'alarme pour inviter le monde à se convertir. Elles ont eu pour rôle de secouer les consciences assoupies pour les maintenir en éveil, dans l'attente de la Parousie du Christ. Elles ont été des rappels pressants adaptés à la situation spirituelle d'une époque (voir Mgr. J.B. Gahamanyi, Lettre pastorale sur les événements de Kibeho, Butare le 30 Juillet 1983 p. 8 - 9).

 

De toute manière, il ne faut pas exagérer l'importance d'une reconnaissance officielle des apparitions. D'ailleurs, cette reconnaissance n'est point infaillible; elle est proposée seulement parce qu'il y a de bonnes raisons de les reconnaître, mais l'autorité de l'Eglise n'oblige personne à y croire, puisque toute décision prise par l'autorité en ce domaine, n'est pas un dogme de foi. Que personne ne s'arroge donc le droit d'imposer aux autres ses propres convictions ou de se substituer au magistère de l'Eglise ou bien encore de manquer de respect envers ceux qui y croient. Qu'en parlant des apparitions de Kibeho, les chrétiens s'appliquent "à garder l'unité de l'Esprit par le lien de la paix" (Eph. 4, 3).

 

Troisième partie

QUELQUES DIRECTIVES PASTORALES

 

Frères et sœurs dans le Christ,

 

Je ne peux pas terminer cette déclaration sans donner quelques instructions pratiques sur votre propre conduite en relation avec les apparitions de Kibeho. Ces directives ne sont d'ailleurs pas différentes de celles que Mgr. J.B. Gahamanyi avait déjà formulées dans ses lettres pastorales. Il n'est pas superflu d'en reprendre ici quelques unes, en les complétant par d'autres que je juge opportunes.

 

1. Je tiens à rappeler tout d'abord que dans l'Eglise de Dieu et la vie de chaque chrétien, la Bible, Parole de Dieu, est et doit rester la norme suprême de notre foi et de notre agir humain. Je recommande donc vivement à chacun de prendre goût à la Parole de Dieu consignée dans la Sainte Ecriture, et de la méditer sans cesse pour mieux en vivre dans la fidélité aux enseignements de l'Eglise. Nous avons là tout ce qu'il est nécessaire de connaître et de pratiquer pour être un bon chrétien et mériter ainsi l'accès au Royaume des cieux. Il n'est pas bon, par conséquent, que les paroles de ceux qui se disent voyants, même reconnus officiellement, soient mises sur le même rang que les paroles de la Sainte Ecriture.

 

2. Dans la foi et la prière du chrétien, on veillera à maintenir la primauté de Jésus-Christ, l'unique Médiateur entre Dieu et les hommes (voir 1Tim 2,5-6). C'est de Lui que parlent les Saintes Ecritures. "Il n'y a pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes par lequel il nous faille être sauvés" (Ac 4,12). Aucune créature ne peut être placée au-dessus de Jésus-Christ, l'unique Sauveur du monde.

 

3. Dans ce contexte, je crois utile d'insister notamment sur le lien qui doit exister entre la dévotion à Marie et un plus grand attachement à Jésus-Christ. Marie nous conduit à Lui; car c'est Lui "le Chemin, la Vérité et la Vie", et "nul ne va au Père sinon par Lui" (Jn 14,6).

 

4. J'invite les pasteurs d'âmes et leurs collaborateurs dans l'apostolat à redoubler de zèle pour donner aux fidèles une catéchèse adéquate sur ce qu'est une saine dévotion envers la Vierge Marie. Qu'ils le fassent à la lumière des enseignements de la Sainte Ecriture et de la Tradition vivante de l'Eglise. Il n'est que normal de s'inspirer aussi du message de Kibeho diffusé par les voyantes officiellement reconnues.

 

5. Notre vie chrétienne ne saurait se réduire à des pratiques de piété; elle doit se traduire aussi dans des actes visant à exprimer notre amour pour le prochain et à étendre autour de nous le royaume de Dieu, "royaume de vérité et de vie, royaume de sainteté et de grâce, royaume d'amour, de justice et de paix" (cf. préface du Christ-Roi). Celui qui prie doit s'engager sans compter au service de ses frères. La conduite du chrétien doit être en conformité avec sa foi : rien ne serait plus contraire à une vraie dévotion mariale qu'une vie chrétienne ignorant les impératifs de la vérité, de la justice, de la paix et de la charité, ainsi que ceux d'une vie conjugale et familiale conforme à l'Evangile.

 

6. Nous devons nous méfier d'assimiler les pratiques de piété à des rites confinant à la magie, comme si par nos paroles ou par nos gestes, nous pouvions contraindre Dieu à faire ce que nous désirons. Certes, il nous faut prier, demander et chercher, comme nous le commande notre Seigneur (Mt 7, 7), mais il ne faut jamais oublier que Dieu est entièrement libre de ses dons et que nous ne pouvons pas Lui imposer nos désirs et surtout pas notre volonté. Il donne comme il veut et au moment qu'il juge opportun. Dans cet ordre d'idées, je mets en garde les pèlerins de Kibeho contre le danger d'une mentalité magique qui peut se mêler à leurs bonnes intentions, lorsqu'ils entrent en contact avec les voyants ou font bénir de l'eau et des objets de piété.

 

7. Le culte public sur les lieux des apparitions de Kibeho a été approuvé pour soutenir notre piété mariale; il doit se faire dans le respect de la liberté des enfants de Dieu. Mais pour qu'il profite à tout le monde et puisse produire de bons fruits, il doit obéir aux normes établies par l'Eglise. Il importe aussi d'éviter des extravagances dans la manifestation de sa dévotion, ne serait-ce que pour ne pas laisser à ceux qui cherchent encore à redécouvrir la place de Marie dans l'Eglise l'impression que notre foi n'aurait rien de sérieux.

 

8. Dans le cadre du culte public autorisé sur les lieux des apparitions, on peut célébrer la Sainte Eucharistie et les autres sacrements de l'Eglise, avec l'accord du recteur du sanctuaire. Les exercices les plus indiqués du culte marial sont ceux-là même que l'Eglise recommande : messes votives ou veillées de prière en l'honneur de la Vierge Marie, la récitation du Rosaire, la vénération de la statue de la Vierge sur place ou en procession, les pèlerinages (ingendo nyobokamana) vers Kibeho, seuls ou en groupes, en vue d'approfondir notre foi et d'améliorer nos bonnes dispositions dans la recherche de la sainteté. Dans toutes ces pratiques, il s'agit de nous présenter à Marie comme des enfants qui attendent beaucoup d'elle pour accomplir la volonté de Dieu sur nous.

 

9. Je demande que le Chapelet des Sept Douleurs de Marie soit inclus dans les dévotions à promouvoir au sanctuaire de Kibeho et partout ailleurs. Que là où ce chapelet n'est pas encore bien connu, il soit enseigné aux chrétiens au même titre que le Saint Rosaire. Je fais appel aux amis et bienfaiteurs pour qu'ils apportent leur contribution dans la recherche des voies et des moyens permettant l'acquisition et la diffusion de ce chapelet des Douleurs à des prix assez abordables pour les fidèles. Il est interdit de répandre et de réciter d'autres types de chapelets sans une approbation donnée par l'Ordinaire du lieu par écrit.

 

10. Le Chemin de Croix, l'adoration du Saint-Sacrement exposé, la bénédiction de l'eau par le prêtre et, avec cette eau, la bénédiction de l'assemblée des fidèles, sont autant de pratiques chrétiennes qui méritent également d'avoir une place dans les programmes de prière proposés aux pèlerins de Kibeho.

 

11. La fête de Notre-Dame de Kibeho est à célébrer le 28 Novembre de chaque année, jour anniversaire des apparitions de Kibeho. Un formulaire de messe particulière, comportant des oraisons et des lectures appropriées, sera préparé et promulgué au temps voulu; en attendant, on peut utiliser les textes déjà prévus dans le Missel romain, au Commun de la Vierge Marie. Je demande aussi que la mémoire liturgique de Notre-Dame des Douleurs, qui tombe annuellement le 15 Septembre, soit davantage valorisée dans le diocèse à partir de Kibeho; car elle a beaucoup à nous rappeler en rapport avec le message de Kibeho. Ainsi, comme le dit le Concile Vatican II, que "Marie, Mère de Jésus, (...) brille comme un signe d'espérance assurée et de consolation devant le peuple de Dieu en pèlerinage" (Vatican II, L.G. n.68).

 

12. La construction d'une chapelle à Kibeho en l'honneur de la Vierge sur le lieu des apparitions devrait être l'œuvre de la générosité des fidèles. Les plans de construction et d'aménagement des lieux devront être approuvés par moi-même ou par mon délégué. Dans l'entre-temps, commençons à mettre à profit le peu d'infrastructure déjà existante. Rien n'empêche, en effet, de modestes débuts; les problèmes d'accueil matériel seront résolus progressivement. Quant à l'accueil spirituel, il y est déjà assuré grâce à l'institution du ministère de chapelain, entré en fonction depuis 1988.

 

13. Comme je le disais déjà dans mon Message du 15 Septembre 1996 sur les apparitions de Kibeho, apprenons à nous attacher à l'essentiel pour notre vie de chrétien. Ce que Notre-Dame de Kibeho attend de nous en priorité, ce n'est pas tellement de bâtir pour elle un sanctuaire matériel d'apparat, en briques ou en pierres bien taillées, mais plutôt un temple spirituel dans nos cœurs, en les purifiant de toute souillure et en y chassant toute cupidité et malhonnêteté, la haine et la violence, l'orgueil et le mensonge sous ses différentes formes, l'esprit de vengeance et les desseins criminels. Ce que Notre-Dame de Kibeho attend de nous de toute urgence, c'est que nous recevions avec empressement le message adressé à nous par l'intermédiaire de ses voyantes. Ce message est un urgent appel au repentir et à la conversion, à un changement de mentalités, au renoncement à tout ce qui nous éloigne de Jésus-Christ. Ce message nous engage à redécouvrir l'Evangile de l'amour fraternel, et à faire preuve de plus de zèle pour la prière et l'obéissance aux commandements de Dieu.

 

14. Je crois utile de rappeler une autre recommandation, qui me tient également à cœur et qui, d'ailleurs avait été déjà donnée par mon prédécesseur dans sa première Lettre pastorale du 30 Juillet 1983 sur les événements de Kibeho. Cette directive a son importance dans les circonstances actuelles. Un voyant, même reconnu comme authentique par l'autorité de l'Eglise, reste une personne humaine comme tout le monde, avec son propre tempérament, avec ses qualités et ses défauts. Aussi longtemps qu'il vit encore sur cette terre, il reste lui aussi un pécheur, appelé à faire pénitence et à croître toujours davantage dans la vie de foi et la sanctification personnelle. Il serait donc imprudent de vouloir "canoniser" en quelque sorte les voyantes de Kibeho, de leur vivant. Il serait plus regrettable encore de les prendre pour des "porte-bonheur" (abapfumu).

 

J'invite les parents ou tuteurs, ainsi que les amis des voyantes de Kibeho encore en vie à faire preuve d'assez de discrétion dans les relations avec elles en évitant de leur donner une importance exagérée ou un régime de faveur, pour la seule raison qu'elles ont été favorisées d'apparitions reconnues. Il faut leur permettre d'évoluer normalement dans leur milieu de vie et de vaquer à leurs activités habituelles. Les mesures que je préconise ainsi visent surtout à garantir la paix de ces voyantes et à les encourager à savoir mener un style de vie assez discipliné.

 

CONCLUSION

 

Frères et sœurs dans le Christ,

 

Voilà ce que j'estime devoir vous dire en toute franchise sur certaines questions de fond qui se posaient encore à propos des apparitions de Kibeho. Leur avenir est désormais tiré au clair.

 

Gardons-nous de croire que tout ce que la rumeur publique proclame miracle, l'est véritablement, comme il ne faut pas croire non plus que toute personne qui se dit voyant, porteur d'un message venant du ciel, n’est nécessairement inspiré par Dieu. Jésus nous avertit: "C'est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez" (Mt. 7,20).

 

Par conséquent, que personne ne soit du nombre de ces gens dont saint Paul Apôtre dit qu' "ils ne supporteront plus la saine doctrine; mais, au gré de leurs propres désirs et l'oreille leur démangeant, s'entoureront de quantité de maîtres et détourneront l'oreille de la vérité pour se tourner vers des fables" (2 Tim. 4, 3-4).

 

C'est en vue de promouvoir un culte marial authentique en rapport avec les apparitions de Kibeho et de le préserver des ambiguïtés, des déformations et des déviations, que je donne ces orientations. Je vous demande de les observer fidèlement, dans un grand esprit de foi, de confiance, d'humilité et d'obéissance, en suivant l'exemple de la Vierge Marie, notre modèle.

 

C'est dans ces sentiments que j'implore le Seigneur de répandre d'abondantes bénédictions sur vous tous.

 

Donné à Gikongoro, le 29 Juin 2001

solennité des saints Apôtres Pierre et Paul,

au neuvième anniversaire de mon ordination episcopale.

 

(Le texte en français est l'original : c'est lui qui fait foi).

 

+ Augustin MISAGO

Evêque de Gikongoro